Les autorités indonésiennes veulent ravoir propre le fleuve Citarum en sept ans

Comment nettoyer le fleuve le plus pollué au monde ?

Sandra Mermans

Quand j’étais petit, je nageais dans les eaux du fleuve Citarum. L’eau était bien plus limpide. J’ai vécu là de très bons moments. Nous utilisions l’eau du fleuve Citarum pour tout : le lavage, la cuisine. Nous pouvions même la boire. 

Le regard de Nindiana Euis (46 ans) de Majalaya, à l’Ouest de Java, trahit sa nostalgie. Toutefois, lorsque Nindiana (Nin pour les intimes) voit ses petits-enfants Mia et Ahmed courir trop près de la rivière désormais fortement polluée, son ton se fait mélancolique. « Mes petits-enfants ne parviendront pas à nager par ce courant. Je le leur interdis. Chaque fois qu’ils s’approchent de l’eau, je les rappelle. Non ! C’est dangereux. »

« J’ai moi-même des problèmes de peau à cause de la pollution. Ma soeur Aisha et son mari ont des crises d’asthme. L’eau est empoisonnée. Vous sentez cela ? Quelle sale odeur. Je n’y lave plus mes vêtements. J’utilise maintenant de l’eau du puits derrière ma maison. Mais il y a aussi une odeur à cette eau. Est-ce une bonne idée? Je ne sais pas. » 

Sa soeur Aisha Euis (57 ans) et son beau-frère Ahdi Wijaya (64 ans) prennent la certitude pour incertaine. Ahdi nous montre la couleur jaunâtre de l’eau de son propre puits. Il trouve qu’ « elle n’est plus buvable » « Nous n’osons même plus cuisiner avec cette eau. » 

« À la place, on paie le gouvernement pour de l’eau propre. Cela nous coûte 100 000 roupies par mois. » Cela revient au total à 6,5 euro. Une bonne partie du budget d’Aisha et Ahdi : Nous gagnons ensemble seulement 1 million de roupies par mois avec notre petit magasin. Un dixième de nos revenus mensuels va donc à l’eau. Ce sont des frais énormes car nous payons aussi pour nos enfants encore aux études. Et il devient encore plus difficile d’exploiter notre magasin avec l’asthme. »

Ce sont des histoires familières à l’activiste local Deni Riswandani. Cependant, 40 millions d’habitants de la province de l’Ouest de Java dépendent du long fleuve de 269 kilomètres. M. Riswandani achète lui-même des bidons d’eau à boire. Il utilise encore de l’eau de la rivière pour faire la lessive et pour uriner. 

« Notre ONG Elingan patrouille sur l’eau », raconte M. Riswandani. Si les usines libèrent des eaux usées, nous déclenchons l’alarme. Tant que les déversements illégaux s’arrêtent nous puisons de l’eau de la rivière. Cette eau est encore sale, mais elle n’est tout de même pas rouge ou jaune fluo comme lors d’une évacuation. Il n’ y a au moins pas de mousse.  

« On ne peut pas toujours voir à l’oeil nu la pollution chimique dans l’eau courante », prévient la scientifique  Marjolein Vanoppen, experte en eaux de l’Université de Gand (U Gent) avant notre départ en Indonésie. « Une couleur ou odeur étrange sont bien des signes d’avertissement clairs. La composition de la teinture textile est par exemple étudiée afin de très bien colorer et lier. Vous le verrez rapidement à la coloration de l ‘eau. La mousse est également extrêmement néfaste pour l’environnement, et sûrement dans de hautes concentrations. »

La doctorante donne encore quelques derniers conseils. « Éviter autant que possible tout contact avec cette eau, sûrement avec tous les orifices corporels comme la bouche et les yeux.  Et sachez que faire bouillir l’eau n’est pas suffisant pour en retirer les substances chimiques. »

« On cuisine avec de l’eau de la rivière par urgence; il faut choisir le moindre de deux maux. », soupire M. Riswandani. « Nous aimerions avoir un nouveau filtre à eau, mais cela coûte cher et ne tient pas longtemps.  » Avec l’argent récolté par notre ONG, nous préférons travailler à la prévention. Nous voulons que ces rejets toxiques cessent. Tant que ce n’est pas le cas, cela ne servira à rien. » 

La rivière la plus propre du monde

Au total, plus de 1000 usines sont installées le long des rives du fleuve Citarum. La plupart d’entre elles sont des usines de textile. M. Riswandani désigne la pollution du doigt. Meiki Paendong de l’ONG WALHI, la branche indonésienne de Friends of the Earth qui surveille le fleuve depuis déjà les années 90, lui donne raison. 

L’organisation environnementale Greenpeace publia en 2013 le rapport Toxic Threads relatif à la pollution, dont entre autres l’usine de textile Gistex. Ensemble avec eux, WALHI intenta un procès en 2016 contre trois usines polluantes. « Nous avons gagné cette affaire », raconte Meiki Paendong. « Le permis dont devaient disposer les usines pour évacuer leurs eaux usées, leur a été retiré, jusqu’à ce qu’ils trouvent une solution. »

Entre-temps, ils ont reçu un nouveau permis. « Qui sait ce qu’ils font encore en coulisses ? Le gouvernement ne pratique pas d’inspections inopinées. Ces usines peuvent faire ce qu’elles veulent. »  

Un tel procès est plutôt symbolique pour M. Paendong. « Nous voulons mettre en garde les autorités, leur rappeler qu’elles doivent être présentes lorsque des usines évacuent des produits chimiques. Le gouvernement n’a encore jamais intenté lui-même de procès. »

Le responsable de l’environnement de la province, Prima Mayaningtias, est pourtant d’accord que l’industrie textile génère une partie de la pollution. « Toutefois, » affirme-t-il de manière déterminée, l’eau n’est pour cette raison pas encore toxique. Nous n’avons jamais constaté qu’il existe des substances chimiques ou des métaux lourds dans la rivière. Le Citarum est le seul très pollué.

L’activiste, Meiki Paendong, soupire. « Si vous n’y croyez pas, comment pouvez-vous y faire quelque chose ? » 

Les professeurs Sunardi Sunardi et Parikesit Pampang scientifiques environnementaux à l’Université Padjadjaran  (UNPAD) ne peuvent pas faire autrement que de trouver risible le message de M. Mayaningtias. « Notre université effectue depuis déjà trente ans des recherches sur la pollution dans le fleuve Citarum. » déclare le professeur Sunardi. « C’est trente ans de données. Le gouvernement a effectué une enquête unique, avec seulement cent échantillons, dont les résultats sont par hasard négatifs. Cela les arrange bien de continuer à renvoyer à celle-ci. » 

Selon les scientifiques spécialistes de l’environnement, l’eau du Citarum est déjà bel et bien toxique. « J’oserais affirmer qu’il s’agit de la rivière la plus polluée au monde. » énonce le professeur Parikesit, à la tête du département pour l’environnement et la durabilité de son université. « Ou à tous égards de l’Indonésie. Nulle part ailleurs ne recouvre une rivière polluée une telle surface dans une zone industrielle. C’est dramatique. Comment va-t-on résoudre cela ? Pas de la manière actuelle. »

Débarrasser uniquement du plastique n’a pas de sens

Le professeur Parikesit renvoie au plan du président de nettoyer le fleuve en sept ans. « Du fleuve le plus pollué au fleuve le plus propre. » assura Joko Widodo à la presse internationale en février 2018. Il a pour cela fait appel à l’aide de l’armée. 

L’armée patrouille le long de la rivière, de telle façon que la population est dissuadée de jeter des déchets de manière sauvage. Ils organisent des opérations de nettoyage en collaboration avec la population locale, qui consistent surtout à repêcher des déchêts ménagers, comme du plastique. « Entre-temps, nous avons déjà repêché quarante pourcents des ordures. » affirme fièrement Felix Wellyanto, responsable communication de l’armée. 

« De nombreuses usines possèdent une station d’épuration d’eau, mais ne font fonctionner l’installation que lorsqu’ils savent qu’il y a une inspection. »

Une fierté toutefois déplacée. Le professeur Sunardi sait que « les substances chimiques ne disparaissent pas de l’eau en retirant le plastique. Les déchets ménagers qui flottent sur l’eau peuvent bien être fortement réduits, les composés toxiques sont toujours présents. » 

Une crainte partagée par Marjolein Vanoppen. « Tant que le déchargement continue, la pollution restera » déclare-t-elle. « Il est bien plus efficace de s’attaquer à la pollution avant l’évacuation des eaux usées, comme on le fait par exemple avec l’eau des égoûts dans les stations d’épuration d’eau. Traiter l’eau d’un fleuve entier n’a pas de sens, est très difficile et coûte cher. Il n’ y a qu’une solution : la prévention. »

Faire confiance aux poissons rouges

À titre préventif, l’armée effectue des recherches pour voir si les usines de textiles déversent de l’eau illégalement, et si nécessaire, bloque les tuyaux illégaux. Cette tactique a été auparavant appliquée par l’ONG locale Elingan, qui par ailleurs plante aussi de nouveaux végétaux et prévient la population de possibles dangers. 

Les « tuyaux du diable », voilà comment M. Riswandani nomme les tuyaux illégaux. « De nombreuses usines possèdent une station d’épuration d’eau, mais en trouvent l’utilisation très chère. Ils ne font fonctionner l’installation que lorsqu’ils savent qu’il y a une inspection. Ils utilisent généralement des tuyaux illégaux, qui ne passent pas le long de la station d’épuration, afin de laisser s’écouler leurs eaux usées. 

« Si les poissons peuvent rester une heure dans l’eau, cela veut dire qu’elle est propre »

Quand les patrouilles d’Elingan observent un déchargement ilégal de la sorte, ils envoient une lettre à la province et à l’usine en question. « Si l’on ne reçoit aucune réponse convenable en l’espace d’un mois, alors nous passons à l’action », explique Deni Riswandani.  L’effet n’est pas de longue durée. Après un certain temps, les patrouilles remarquent de nouveaux tuyaux et la correspondance recommence. 

« L’armée fait la même chose, mais les propriétaires d’usine vont faire pression chez eux. » dit M. Paendong de l’organisation WAHLI. Les tuyaux sont bloqués, mais généralement seulement pour une semaine. Cela n’a ainsi aucun effet. » Le porte-parole de l’armée, M. Wellyanto, réfute ces propos. « Nous attendons quand même généralement trois à quatre mois avant de vérifier si les usines purifient mieux leurs eaux usées. »

« Nous contrôlons le nouveau système d’épuration d’eau des usines avec des poissons rouges » raconte M. Wellyanto sans scrupules. « Ces animaux sont très sensibles, ils se retrouvent en difficulté à la moindre trace de pollution dans leur bocal. C’est la raison pour laquelle nous leur faisons confiance. » L’armée laisse les poissons dans l’eau à la fin du processus d’épuration. « Si les poissons peuvent rester une heure dans l’eau, cela veut dire qu’elle est propre », déclare M. Wellyanto. 

Il ne souhaite pas répondre à la question du nombre de poissons morts par ce procédé. « La plupart des tests sont une réussite pour les usines. » 

Retour à la case départ ? 

Selon M. Sunardi, «  Bloquer les tuyaux n’est de toute manière pas une véritable solution. » «  La manière dont procède l’armée ne garantit de toute façon rien. Une meilleure législation, par contre, aiderait. Mais le gouvernement est faible. Mugi Mugiyanto, collaboratrice à la politique de l’ONG pour le développement INFID est d’accord. « Il est sûr qu’au niveau local, les politiques et la police interviennent à peine. »  

M. Mugiyanto constate une grande corruption dans les villages fortement industrialisés. « Les politiques ont un lien fort avec les propriétaires d’usines. Si vous souhaitez être au pouvoir en tant que politique, vous avez besoin d’argent, argent que vous empruntez de l’industrie. À partir du moment où vous êtes bourgmestre, vous devez de l’argent aux propriétaires d’usine. Apparaît ainsi un cercle vicieux. »

L’activiste de WALHI, Paendong, complète : « C’est la raison pour laquelle le lobbying fonctionne si bien et qu’il n’ y a pas de nouveau procès. La politique et l’industrie sont réellement liés l’une à l’autre. »

Selon M. Paendong, l’application de la loi s’est améliorée depuis l’intervention de l’armée. « Ils sont capables de faire ce que le gouvernement fait difficilement : alimenter la peur. Cette peur est nécessaire pour combattre la pollution. La population a peur de déverser des déchets ménagers. Les agriculteurs peuvent plus facilement signaler si des eaux usées industrielles salissent leurs champs. Et les usines sont prévenues que l’armée ne recule pas à bloquer les tuyaux illégaux. Je vois l’intervention militaire comme une évolution positive pour l’environnement. 

M. Mugiyanto, son collègue de l’ONG INFID, est d’un autre avis. Il est contre la participation de l’armée dans le nettoyage du Citarum.  « Ils voient cette mission comme très lucrative », soupire la collaboratrice à la politique. « Il y a une très grande attention internationale pour cette affaire, ce qui a permis de récolter de l’argent pour le nettoyage de la Banque mondiale et de la Banque asiatique de développement . »

« L’armée ne demande qu’à prendre à son compte cette sorte de missions lucratives. En reprenant le rôle des fonctionnaires à l’environnement, l’armée s’attire le pouvoir. Et grâce à tout l’argent qu’il y a à gagner, cela peut consolider le pouvoir. Ce scénario me fait très fort penser à la dictature militaire de Suharto, qui tenait l’Indonésie sous son joug jusqu’en 1998. Retournons-nous à la case départ ? J’espère que l’Histoire ne se répète pas, mais le risque existe. 

Il ne faut pas non plus parler de l’intervention de l’armée à M. Riswandani : pas en termes politiques, mais sûrement pas en termes écologiques. Il craint que le problème de la pollution ne sera ainsi jamais résolu. L’activiste met le doigt sur les problèmes « L’argent circule. Mais l’afflux d’argent va stopper aussitôt que le nettoyage sera fini. Donc pourquoi l’armée ferait de son mieux pour nettoyer le fleuve si cela rapporte bien plus de le laisser s’encrasser ? »

Traduit du néerlandais par Geneviève Debroux

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Over de auteur

  • Eindredacteur en freelance journalist

    Sarah Vandoorne is freelance journalist, eindredacteur en auteur van het boek ‘Kleerkastvasten. De textielketen ontrafeld’ (Uitgeverij Vrijdag, 2023).

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