Un écologiste local part en guerre contre la pollution du fleuve Citarum

« Ces usines textiles détruisent nos corps »

Sandra Mermans

L’activiste Deni Riswandani tient en l’air son PH-mètre sur les rives de Cipadaulun. Le chef de l’organisation écologiste locale Elingan nous emmène à l’affluent du fleuve Citarum, fortement pollué. Celui-ci se situe au sud de l’endroit où il habite, Majalaja, au cœur du Java occidental, en Indonésie. Le PH-mètre se révèle orange foncé : « acide ». La rivière est acide. Cela n’étonne pas M. Riswandani. “La pollution a déjà détruit énormément ici. »

Mille usines au total – surtout issues de l’industrie textile – déversent leurs eaux usées dans le fleuve Citarum, long de 269 kilomètres. Deni Riswandani mène depuis le début du siècle une action contre elles. Lorsqu’il patrouille sur l’eau avec son ONG Elingan, il remarque les déversements illégaux et toxiques. L’organisation locale a tiré la sonnette d’alarme et a collaboré à un rapport de Greenpeace de 2013 sur la part de responsabilité de l’industrie textile dans la pollution. Greenpeace y pointe du doigt des marques de vêtements telles qu’H&M, Adidas et Gap. Il ressort de leur enquête, réalisée en collaboration avec l’université locale Padjadjaran, que l’usine où ils passent leurs commandes déverse aussi bien des substances chimiques, des perturbateurs endocriniens que des métaux lourds comme le mercure et le chrome dans le fleuve.

Sandra Mermans

M. Riswandani le sait après vingt ans d’activisme : « On le reconnaît ainsi dans l’eau. Vous voyez la mousse ? Les colorations ? Vous pouvez être sûr que ce sont les usines qui sont là derrière. » La plupart des usines déversent leurs eaux usées le soir. « Elles pensent alors que personne ne les observe. » Les usines déversent encore davantage lors de la saison des pluies selon l’activiste. « C’est seulement alors qu’elles ont l’impression que leurs actions sont invisibles. Le niveau de l’eau est si élevé qu’on le remarque moins. Mais la mousse à la surface de l’eau ne ment pas. »

Mesures vaines

« Ce mélange toxique a d’énormes répercussions sur la communauté », soupire l’activiste alors que nous sommes à nouveau arrivés chez lui.  « Mon père est décédé il y a vingt ans. Il avait des problèmes au cœur et aux poumons. Il souffrait également régulièrement de diarrhée. Son médecin est convaincu que cela est lié à la pollution. Les médecins voient apparaître les mêmes symptômes partout dans les environs. Les voies respiratoires, la peau, le système intestinal. La pollution détruit nos corps. »

La mort de son père a motivé l’activiste à commencer à patrouiller sur l’eau. Deux bateaux de patrouille se dressent dans la petite cour à l’avant de sa maison, bien visibles. Des dizaines de volontaires contrôlent entre-temps les rivières. Ils donnent l’alerte s’ils voient que les usines déversent illégalement leurs eaux résiduaires. « Dès que les déversements s’arrêtent, nous pouvons à nouveau reprendre de l’eau de la rivière », déclare M. Riswandani. « Cette eau reste sale, mais elle n’est au moins pas jaune fluo. »

Pas moins de 40 millions d’habitants du Java occidental dépendent du fleuve Citarum. Ils se lavent ou lavent leurs vêtements dans le fleuve. Ils font bouillir l’eau et l’utilisent pour nettoyer les fruits et légumes. Il y avait auparavant un filtre à eau, mis au point par l’Institut technologique de Bandung dans le village de M. Riswandani, afin de purifier la substance jaune fluo.  Les habitants devaient appuyer sur des pédales pour actionner le système.

M. Riswandani nous emmène à la remise où se trouve le filtre. Il est entre-temps resté déjà trois ans intact. « Il est rempli de microbes. Cela fait longtemps qu’il n’est plus efficace. Nous n’avons pu l’utiliser qu’un an. Nous pourrions le remplacer, mais est-ce que cela a vraiment du sens ? »

Un nouveau filtre coûte selon Deni Riswandani 35 millions de roupies indonésiennes (2250 euros). Cela représente plus d’une année de salaire. L’activiste secoue la tête. Cela n’en vaut pas la peine pour lui. « Nous préférons travailler à la prévention avec l’argent que l’ONG récolte. Rien n’est plus important. Nous souhaitons arrêter ces déversements toxiques. Tant que cela n’est pas le cas, ces mesures sont vaines. »

Sandra Mermans

Tuyaux du diable

Les bénévoles d’Elingan indiquent les dangers potentiels à la population locale. Ils plantent une nouvelle végétation le long des rives, ce qui aide à contrer une plus grande érosion selon le professeur Parikesit Pampang de l’Université Padjadjaran.

Ils font également tout pour dissuader les usines de continuer à épandre leurs eaux usées. « Chaque fois que nous observons un déversement illégal lors des patrouilles, nous envoyons une lettre à la province et à l’usine en question. Qui reste toujours sans réponse. Nous attendons un mois avant de passer à l’action. Nous rebouchons alors le tuyau d’évacuation. »

Sandra Mermans

« Tuyaux du diable », c’est ainsi que M. Riswandani nomme les tuyaux d’évacuation. Son ONG a besoin d’une semaine de préparation afin de bloquer un seul tuyau. « Nous terminons l’affaire en trois heures le jour de l’action. Lors de la saison des pluies, on peut le faire en bateau. Lors de la saison sèche, comme maintenant, nous devons nous aventurer dans l’eau. Notre peau s’irrite quand nous maçonnons. On se rend alors compte de l’ampleur du phénomène. » L’effet n’est pas de longue durée. Après un certain temps, les patrouilles repèrent de nouveaux tuyaux et recommencent la correspondance.

M. Riswandani est conscient comme personne que l’activisme n’est pas sans danger. L’écologiste étend son bras. « Vingt-deux points de suture. » Une lame de couteau qui lui a valu cette cicatrice, est apparue soudainement. « C’était un grand couteau de cuisine. Je voulais protéger mon visage et j’ai été touché au bras. »

Ce n’était pas la première fois que Deni Riswandani ou son ONG se sont fait menacer. « Des vandales ont pénétré dans notre bureau. Nous n’avons plus de secrétariat pour le moment. » Son propre environnement n’était pas non plus épargné. Quelqu’un a lancé une brique à l’intérieur de sa maison il y a six ans. « Les vandales avaient aussi laissé un message derrière eux. Soyez prudents, pouvait-on lire sur la lettre reçue dans la boîte aux lettres. Ma femme était seule à la maison. Elle était morte de peur. »

M. RIswandani continue à se battre pour le fleuve malgré toutes les contrariétés. C’est le travail de sa vie. « Je dois le faire, pour mon père. » L’écologiste ne tient pas en haute estime les autorités locales, qui devraient suivre ses plaintes. « Ces tuyaux du diable sont illégaux, mais sont tout de même tolérés. Cela ne dérange pas les autorités, qui sont corrompues au possible. Elles sont aveuglées par les investissements des multinationales, qui souhaitent venir chercher ici leur textile. Elles déroulent le tapis rouge aux investisseurs et leur permettent de ne pas se soucier des règles. »

L’activiste balaie les excuses des autorités qu’il a déjà exposées. L’eau ne contiendrait aucun déchet toxique, contrairement à ce que prouve le rapport de Greenpeace, chiffres de spécialistes de l’environnement de l’Université Padjadjaran à l’appui. Du moins, les autorités n’ont jamais pu observer elles-mêmes le phénomène. Les autorités ne sauraient pas non plus où les usines déversent leurs eaux usées. « Ils refusent tout simplement de le voir », soupire M. Riswandani. « C’est précisément la raison pour laquelle il est si important que nous continuions à le leur montrer. Ils ne peuvent pas continuer à nous ignorer. »

Polluer rapporte plus

Les autorités locales et l’armée ont entre-temps été impliquées dans le nettoyage. Ils ont sept ans pour assainir le fleuve. L’écologiste dit que le temps dont ils disposent ne change rien. « Nettoyer n’est pas dans leur propre intérêt. »

L’activiste nous indique le financement de ce projet. La Banque mondiale a emprunté 88 millions d’euros pour achever la purification du fleuve. La Banque asiatique de développement, quant à elle, emprunte depuis déjà longtemps des fonds pour l’assainissement, depuis 2008 et souhaite au moins investir 450 millions d’euros au total.

« L’argent circule et ce flux d’argent s’arrêtera dès la fin du nettoyage. Alors pourquoi l’armée ferait de son mieux pour assainir le fleuve, si cela rapporte bien plus de le laisser s’encrasser ? Non, le problème ne se résout jamais de cette façon. »

Traduit du néerlandais par Geneviève Debroux

Sandra Mermans

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Over de auteur

  • Eindredacteur en freelance journalist

    Sarah Vandoorne is freelance journalist, eindredacteur en auteur van het boek ‘Kleerkastvasten. De textielketen ontrafeld’ (Uitgeverij Vrijdag, 2023).

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