« Ils ne nous ont pas averti que cela pourrait nous rendre impuissants. Autrement, nous aurions protesté »

L’investissement belge dans l’huile de palme à nouveau sous le feu des critiques

Axel Fasslo/CIFOR (CC BY-NC-ND 2.0)

«Ce travail n’est pas bon, mais cela vaut mieux que le chômage. » Des travailleurs malades de la plus grande palmeraie du Congo vont devoir se contenter de ce message. Deux travailleurs interrogés sur trois affirment être devenus impuissants après avoir intégré l’entreprise Plantations et Huileries du Congo (PHC).

L’investissement belge dans le groupe PHC, la plus grande palmeraie du Congo, est à nouveau sous le feu des critiques. Les ONG avaient déjà auparavant dénoncé les conditions de travail précaires et avaient mis en garde contre les conflits territoriaux entre l’entreprise et les communautés locales. Les ouvriers s’avèrent aussi avoir été exposés à de dangereux pesticides et les cours d’eau des communautés locales avoir été pollués par l’épandage d’eaux usées non traitées des usines d’huile de palme.

En 2015, un consortium de banques de développement prête environ cinquante millions de dollars au groupe congolais PHC, appartenant à l’entreprise canadienne Feronia. Parmi eux, la Société belge d’investissement pour les pays en développement (BIO), un fonds entièrement propriété de l’ État belge, avec lequel notre pays soutient des entreprises privées dans les pays en voie de développement et les pays à forte croissance économique.

La société est née de la faveur du ministre belge des Colonies, Jules Renkin,  faite à William Lever, qui a pu choisir 75 000 hectares de terres. De cette manière, l’huile de palme faisait désormais partie de l’économie d’exportation coloniale. En 2008, l’entreprise canadienne Feronia a obtenu la plus grande part de marché de la succursale alors très affaiblie de l’empire Unilever.

Les Canadiens sont alors ensuite partis à la recherche d’investisseurs et ont frappé à la porte de différentes banques de développement.

Les institutions occidentales de financement du développement, ont investi en 2015 près de 100 millions d’euros dans PHC.

Les institutions occidentales de financement du développement ont investi en 2015 près de 100 millions d’euros dans l’entreprise, qui possédait alors seulement trois plantations, réparties sur 100 000 hectares. PHC employait à ce moment seulement quelques milliers de travailleurs à peine payés. La Société belge d’investissement pour les pays en développement fournit alors un prêt de 9,7 millions d’euros, dans l’espoir de redresser cette entreprise.

Une analyse de la controverse autour de l’investissement de la BIO est parue dans MO* cette année. Encore avant le début de l’activité, les organisations locales, ainsi que des ONG canadiennes ont mis en garde contre la proportion que pourraient prendre les conflits territoriaux entre les communautés locales et PHC.

L’organisation coupole pour les organisations et associations de développement francophones et germanophones (CNCD-11.11.11) a averti la BIO des conflits existant, mais aussi des conditions de travail vraiment mauvaises.

 Luuk Zonneveld, directeur de la Société belge d’investissement pour les pays en développement, s’est battu pour que la signature d’un prêt implique aussi la signature d’un plan d’action environnemental et social. « Les plus de 40 actions entreprises servent à s’assurer que Feronia réponde à terme complètement aux normes sociales et environnementales les plus élevées, en tenant compte des limitations dans le temps financières », a écrit M. Zonneveld dans une réaction à MO* suite à la publication de l’article.

Le rapport d’Human Rights Watch publié aujourd’hui montre que peu de ces actions ont fonctionné. L’investissement de la BIO semble pour l’instant maintenir l’emploi, mais les activités de PHC ne sont manifestement pas encore durables.

« Deux travailleurs interrogés sur trois sont devenus impuissants »

« Ils ne nous ont pas averti d’une diminution de la puissance sexuelle. Autrement, nous aurions protesté. » Christian Lokola (pseudonyme) a trente ans et a travaillé là-bas trois ans dans la plantation de Lokutu. Chaque jour, il aspergeait trois cent palmiers pour un euro cinquante. « Le médecin de travail nous a dit : “ Ce travail n’est pas bon, mais cela vaut mieux que le chômage. “

Luciana Téllez/ Human Rights Watch

« Le médecin de travail nous a dit : “ Ce travail n’est pas bon, mais cela vaut mieux que le chômage. “

Human Rights Watch (HRW) a parlé avec plus de quarante travailleurs, entre 25 et 46 ans, exposés aux pesticides pendant leur travail. Trois personnes sur quatre interrogées signalent être devenues impuissantes après avoir travaillé chez PHC.

Dans le rapport  A Dirty Investment: European Development Banks’ Link to Abuses in the Democratic Republic of Congo’s Palm Oil Industry, les travailleurs décrivent des symptômes correspondant aux conséquences d’une exposition de longue durée à des substances dangereuses : peau irritée, boutons, ampoules, problèmes oculaires dont une diminution de la vue.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) qualifie la moitié des composants présents dans les pesticides de PHC de dangereux. Trois pesticides pourraient même causer le cancer en cas d’exposition prolongée selon l’OMS.

PHC soumet les travailleurs à un examen médical, comme le prescrit aussi la loi congolaise. Mais aucune des personnes interrogées n’a jamais reçu de résultats de l’examen.

Épandage d’eaux usées non traitées

Human Rights Watch a vu sur place qu’ au moins trois des usines de transformation de PHC, où les noix de palme sont pressées pour obtenir de l’huile, rejettent leurs eaux usées non traitées dans les cours d’eau locaux. Par ces pratiques, l’entreprise enfreint le règlement de travail tant congolais qu’international.

Luciana Téllez/ Human Rights Watch

Dominique Azayo Elenga est l’un des dirigeants traditionnels du village de Boluku, à cinq kilomètres de la plantation de Yaligimba. « La population utilise l’eau contenant des déchets de l’usine. J’en ai discuté avec Feronia, mais ils n’ont rien fait. » Après plusieurs tentatives de concertation en novembre 2018, M. Azayo a aussi introduit une plainte formelle contre les pratiques polluantes de PHC. Le directeur de l’entreprise a tout de même déclaré à Human Rights Watch en avril de cette année ne pas avoir eu connaissance de la plainte.

Les travailleurs journaliers gagnent moins de 10 euros par mois

Fin de l’année dernière, PHC avait à son service plus de 4000 personnes en salaire fixe et on estime qu’elle a fait appel à 6600 travailleurs journaliers. Depuis que Feronia est devenu l’actionnaire principal, les salaires sont augmenté, a pu constater Human Rights Watch.

Paul Dulieu, directeur des communications de Feronia à Londres, indique cette année  un salaire moyen de trois dollars par jour. La société d’investissement a renvoyé à l’engagement de Feronia de satisfaire aux salaires minimum légaux.

Ce salaire minimum au Congo est toutefois encore bien loin du seuil de pauvreté extrême fixé par le Banque mondiale à 1,72 euro par jour. En 2018, une nouvelle loi a été votée au Congo où les salaires minimum avaient été revus à la hausse, passant à 3,9 euros par jour. Mais cette loi n’est pas encore entrée en application.

Les travailleurs salariés de PHC gagnent donc à l’heure actuelle plus que l’ancien salaire minimum congolais, mais ce montant reste insuffisant pour échapper à la pauvreté extrême. Des médecins de l’hôpital local ont témoigné à Human Rights Watch que les enfants sous-alimentés étaient généralement des enfants d’ouvriers des plantations.

Luciana Téllez/ Human Rights Watch

Une mère de six enfants de Boteka gagne seulement 6,5 euro par mois.

Human Rights Watch a aussi remarqué une grande différence entre les travailleurs salariés et les travailleurs journaliers. Ce sont surtout ces derniers qui sont très mal payés, contrairement à ce que l’entreprise prétend elle-même. Des témoins parmi les gestionnaires et les travailleurs mêmes ont décrit les très dérisoires dédommagements. Ce sont surtout les travailleuses journalières qui travaillaient pour des salaires de misère. Une mère de six enfants de Boteka gagne seulement 6,5 euro par mois.

Un ancien manager qui doit surveiller 200 travailleurs à Boteka a confirmé à Human Rights Watch que les femmes reçoivent en compensation trente francs congolais (moins de dix cents), par sac de dix kilos de noix rendu. Quinze sacs par jour lui semble la limite atteignable. Le salaire converti maximum pour ces femmes était d’environ un peu moins de 9 euros par mois.

« Ces banques peuvent jouer un rôle important dans la promotion du développement. Mais elles ne réussissent pas à faire respecter les droits des travailleurs et des communautés locales dans l’entreprise qu’elles financent », conclut la chercheuse et auteure du rapport Luciana Téllez. « Les banques d’investissement doivent insister que Feronia doit arriver avec un plan concret pour mettre un terme à cet abus. »

BIO a réagi au rapport d’Human Rights Watch: « Le rapport de Human Rights Watch (HRW) d’aujourd’hui concernant notre investissement commun dans PHC/Feronia, un producteur d’huile de palme pour le marché intérieur de la RDC, souligne la nécessité d’investir davantage pour améliorer les conditions environnementales et de travail de l’entreprise. L’amélioration des conditions de travail et de l’infrastructure communautaire est au cœur de l’engagement des IFD avec Feronia. Nous accueillons donc favorablement les recherches de HRW et continuerons à travailler avec PHC/Feronia sur la meilleure façon de relever ces défis. Nous prenons très au sérieux notre rôle d’investisseur IFD socialement responsable à long terme et nous continuerons à gérer les impacts saillants et aider à réaliser des changements positifs dans des contextes difficiles et imparfaits. » Lire ici la réaction en intégralité.

Luciana Téllez/ Human Rights Watch

Traduit du néerlandais par Geneviève Debroux

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