"Le Rwanda est le seul pays au monde où le paradis et l’enfer se touchent”

Selon le général Kayumba Nyamwasa et Patrick Karegeya, le Rwanda de Kagame n’est qu’une bulle de savon luisante qui peut éclater à chaque instant. ‘La base de pouvoir du régime est en train de se rétrécir tellement que Kagame règne maintenant en véritable despote’, nous dit Patrick Karegeya. ‘La situation au Rwanda est à l’heure actuelle extrêmement explosive, tout peut arriver.’

  • REUTERS/Str Old Le général Kayumba avec Paul Kagame en Kigali, juillet 2000. REUTERS/Str Old

Le général Kayumba va encore plus loin:’Nous avons lutté pendant des années pour chasser le dictateur Habyarimana et devons maintenant constater que nous l’avons seulement remplacé par un autre tyran. Nous ne pouvons pas continuer à nous battre. Moi-même je suis partisan d’une solution pacifique.’

‘Mais vous ne pouvez combattre un tel régime que si vous avez la vérité de votre côté. Je suis accusé en Espagne de crimes contre l’humanité et je vais aller me présenter à la justice Espagnole. Je suis innocent. C’est seulement après ça que je pourrai me consacrer entièrement à l’opposition à Kagame.’

De nombreuses personnes prétendent que le Rwanda est pour le moment un des pays les plus prospères et sûrs de l’Afrique. Le réseau routier a été rénové, il est possible d’aller voir les gorilles sans risques et la sécurité existe dans les rues. De plus, le Kigali d’aujourd’hui ne peut pas être comparé à celui d’il y a 20 ans.

Patrick Karegeya: Oui c’est vrai! Notre réponse est que ces développements sont très artificiels. Tout le secteur du bâtiment et une grande partie de celui du tourisme sont aux mains d’hommes d’affaires ayant des relations étroites avec Kagame. L’homme a, directement ou indirectement, des participations dans tous les nouveaux hôtels en construction. Si vous parlez à des hommes d’affaires qui ne veulent pas participer à ce petit jeu, vous remarquerez directement qu’il règne beaucoup de mécontentement dans ces milieux : le Rwanda est un petit pays dans lequel les hommes d’affaires ont des difficultés à survivre.

Ceux qui refusent de payer des impôts astronomiques et font connaître leurs griefs, sont rapidement mis hors circuit. Les plus grands bénéfices vont toujours aux fidèles de Kagame, qui doivent ensuite transférer une partie des gains vers ses comptes. Tout le monde le sait ! Mais personne n’ose le proclamer. Si un homme d’affaires ose prendre une initiative intéressante et commence à gagner de l’argent, on lui donne le choix : cracher ou déguerpir !

Le secteur agricole entier est démembré par le gouvernement : on oblige les petits paysans des collines à ne planter qu’une sorte de culture qui doit servir à l’exportation. Cela alors que ces gens cultivaient surtout ce qui pouvait nourrir leur propre famille. L’insécurité parmi les paysans, surtout des Hutus qui n’avaient de toute façon pas de grande considération pour Kagame, augmente de jour en jour.

La vie à Kigali est en train de devenir très chère : les gens ont des difficultés à maintenir la tête hors de l’eau. Les éleveurs sont mécontents parce que le gouvernement les oblige à élever une nouvelle race de vaches. De petits éleveurs, qui ne peuvent pas se permettre d’acheter des vaches Néerlandaises ou Suisses très chères pour les croiser avec la traditionnelle vache à grandes cornes, sont marginalisés. Ainsi tout le cheptel tombe aux mains de quelques grands éleveurs. Vous savez que dans la culture Tutsi traditionnelle les vaches faisaient surtout fonction d’épargne. Les Tutsis moins riches ne peuvent plus se le permettre maintenant.

Non, si vous me le demandez, la hargne envers la ‘brave new world’ de Kagame ne fait que croître. Les gens ont à nouveau peur : de nombreux étrangers sont persuadés que le Rwanda se développe mieux que les pays limitrophes. Mais derrière cette belle façade se cache beaucoup de misère : le Rwanda est un des quelques pays de notre globe où le ciel et l’enfer se touchent.

Kayumba Nyamwasa: Khadaffi et Ben Ali avaient également installé une bonne infrastructure pour leurs citoyens. Mais ceux-ci ont commencé à grogner parce qu’ils étaient exploités et vivaient dans un état policier. Personne ne veut être enfermé dans une cage dorée dans laquelle il est défendu de siffler. Au Rwanda, celui qui donne son avis est jeté irrévocablement en prison.

Toute l’administration officielle tourne mal, parce que les employés ne sont plus sûrs de leurs jobs et doivent souvent survivre en dénonçant leurs collègues. Des hommes d’affaires jaloux accusent leurs concurrents de pratiques malhonnêtes. Dans l’armée, on a peur de parler. Car chacun sait bien que Kagame n’a jamais pu se faire réélire avec 95% des voix.

Patrick Karegeya: Les militaires ont encore plus peur que les citoyens. Leur frustration est très grande. Ils savent mieux que personne ce qui peut arriver s’ils ouvrent la bouche ou refusent un ordre. Car ils font eux-mêmes partie de l’appareil de répression. Au cours des années écoulées, ils ont vu des collègues disparaître et d’autres obligés d’éliminer des camarades.

Via Skype, nous sommes journellement en contact avec d’anciens collègues qui nous le disent. Vous ne me ferez pas croire que les membres des familles de militaires éliminés ou disparus sont encore favorables au régime. Et que les militaires ne savent pas ce qui se passe dans le reste du pays. L’armée fait partie de la société. N’oublions pas non plus que la plupart des soldats sont Hutus. Et commandés par des officiers Tutsis. L’armée Rwandaise s’est conduite jusqu’à présent de manière fort disciplinée, mais les soldats sont aussi des hommes comme vous et moi.

Nos soldats sont très durs et ils supportent quelques coups. Mais Kagame règne momentanément au-dessus d’un volcan qui peut entrer en éruption à tout moment. Quand la bombe va éclater, il ne pourra plus faire appel qu’à un petit nombre de collaborateurs proches qui lui sont toujours restés fidèles et qui ont beaucoup de sang sur les mains. Ceux-là vont disparaître avec lui.

Cela semble très radical. Pensez-vous vraiment qu’une nouvelle guerre civile peut éclater au Rwanda ? Personne ne croit à ce scénario catastrophe et vous pouvez facilement le prétendre pour jeter le discrédit sur le gouvernement actuel.

Patrick Karegeya: Un diplomate étranger m’a posé la même question il y a peu. On ne peut pas continuer plus longtemps à fermer les yeux sur ce qui se passe au Rwanda. La situation est particulièrement grave : un militaire puni peut sans broncher, dans un moment de folie ou de désespoir, prendre son révolver pour abattre Kagame d’une balle dans la tête. Ce qui va se produire ensuite, Dieu seul le sait.

Presque tout le monde a une machette à la maison et il y a beaucoup d’armes en circulation. L’histoire nous a appris que la population Rwandaise, quand elle est frustrée, est capable de tout. Et la plupart de nos mwamis (rois Tutsis) sont morts de manière violente. Des figures comme Jack Nziza vont alors vouloir se présenter pour remplacer Kagame. Mais aucun soldat n’obéira aux ordres de Nziza. L’armée risque de se disloquer et les populations des campagnes peuvent se rebeller. Personne ne désire un tel scénario. Je n’ose pas y penser.

Mais dans ce cas, la communauté internationale ne pourra plus prétendre qu’elle n’était pas au courant de ce qui pouvait se passer. Lorsque l’Akazu, la petite clique qui entourait Habyarimana, était en train de préparer le génocide, les diplomates étrangers étaient aussi au courant des conséquences possibles. Mais personne n’a pu prévoir que le génocide prendrait de telles proportions. Maintenant ils sont au courant ! Ne les laissons donc pas prétendre par la suite qu’ils ont à nouveau été pris par surprise. 

Kayumba Nyamwasa: Je suis aussi très inquiet. Mais si demain un attentat est perpétré sur Kagame, la population applaudira. Tous en ont marre de lui. Il vaut mieux éviter un genre de scénario catastrophe comme le présente Patrick. Nous croyons à une solution pacifique.

Etes-vous en contact avec d’autres mouvements d’opposition Rwandais ? Suivez-vous les tribulations de Victoria Ingabire ?

Patrick Karegeya: Cela va de soi! Victoria Ingabire est une femme extrêmement courageuse qui a habité des années durant aux Pays-Bas et qui pensait qu’en rentrant au pays, la période dictatoriale de Kagame pouvait être arrêtée. Son parti, le ‘United Democratic Forces’ (UDF), défend surtout les Hutus modérés.

Kagame a vu en elle une concurrente pour les élections. Si le Rwandais moyen en avait reçu la possibilité, elle aurait été élue brillamment à la présidence. Mais ça ne pouvait se faire. Kagame l’a accusée de discours génocidaire parce qu’elle a osé déclarer en public que les criminels de guerre du parti au pouvoir devaient aussi être traduits devant les juges. Nous sommes également de cet avis. Tout comme Pasteur Bizimungu, elle est en prison à Kigali. Kagame n’ose pas les tuer, parce qu’alors il s’attirerait probablement les foudres des Américains, des Néerlandais et des Belges.

Nous parlons naturellement avec les membres de son organisation. C’est aussi ce que nous faisons avec d’autres mouvements d’opposition. Nous voulons d’abord lancer un large forum d’opposition et ensuite mettre en route notre travail au pays-même. Et ça marche très bien : Kagame ne peut plus se montrer à l’étranger sans qu’il y ait des protestations sur le trottoir devant son hôtel. Chaque mardi, des manifestants se rassemblent devant l’Ambassade du Rwanda à Bruxelles. Les Rwandais de la diaspora n’ont déjà plus peur de réagir. Les Rwandais du pays vont suivre.

J’entends certains étrangers prétendre que le concept de démocratie n’est pas applicable en Afrique et qu’ici, on ne peut gouverner que par la force. C’est de la foutaise. Pourquoi un concept qui fonctionne bien en Europe ou en Amérique ne peut-il pas marcher ici ? Vous ne devez et pouvez pas en priver les Africains. Chacun veut le meilleur pour son pays. Victoire Ingabire le veut aussi et c’est pourquoi nous voulons collaborer avec elle.

Kayumba Nyamwasa: Personne n’aurait pu croire que les Lybiens se révoltent un jour contre Khadaffi. L’homme maintenait son peuple sous sa coupe d’une main de fer. Et voyez ce qui se passe maintenant en Syrie. Naturellement les dictateurs ne se rendent pas sans violence. Pourtant, comparé à Khadaffi ou Assad, Kagame a une base de pouvoir très étroite. J’espère donc que nous pourrons empêcher le pire par la négociation et la diplomatie.

Pourtant, beaucoup pensent que vous travaillez avec les extrémistes Hutus du Congo pour perpétrer des attentats au Rwanda. Parlez-vous avec les Interahamwe du Congo ?

Patrick Karegeya: C’est avec de telles sottises qu’on remplit pour le moment les journaux à Kigali. Ceux qui ne veulent pas publier ça, reçoivent une interdiction de publier. Pas un seul Rwandais qui nous connaît un petit peu ne le croira. Pour Kagame, le FDLR (l’organisation des extrémistes Hutus) est le monstre idéal pour justifier sa présence au Congo. Mais je peux vous garantir que nous ne travaillons pas avec ces gens.

Kayumba Nyamwasa: Pensez-vous vraiment que nous donnerions l’ordre de jeter des grenades sur un marché de Kigali et pour tuer des Rwandais innocents ? Allons donc ! Je crois que vous devriez rechercher les véritables coupables au ministère Rwandais de la Défense. Ou à la ‘présidence’…

Patrick Karegeya: Kagame ne peut survivre que grâce aux Interahamwe (appellation Rwandaise pour les extrémistes Hutus). Nous les avons combattus pendant des années. Notre position est que ceci est un problème Rwandais. Et que ceux qui sont au pouvoir à Kigali doivent trouver une solution pour ces gens. Vous ne pouvez tout de même pas continuer à vous battre contre eux. Si Kagame l’avait voulu, le problème serait déjà résolu depuis longtemps. Maintenant il peut continuer à justifier une grande armée et continuer à persuader le monde entier qu’il doit gouverner son pays d’une main de fer.

Au Mozambique, on a parlé avec le Renamo, en Angola avec l’Unita et ici en Afrique du Sud, l’ANC parle avec les durs du régime de l’Apartheid. J’en conviens, cela ne s’est pas toujours fait sans problèmes. Pourquoi ne pourrions-nous pas parler avec les Interahamwe ?

Etes-vous prêts à reprendre les armes ?

Kayumba Nyamwasa: Non, nous ne pouvons pas continuer à nous battre. Un bon général essaie toujours de gagner des batailles sans combattre. C’est la raison pour laquelle je suis un grand partisan du dialogue et de l’opposition pacifique.

Le Printemps Arabe nous inspire vraiment. Mais contrairement aux nouveaux gouvernements des pays comme la Lybie et l’Egypte, nous voulons être prêts avec un programme convenable et une bonne base politique. Le sang a déjà assez coulé au Rwanda. Mais vous ne pouvez combattre un tel régime que si vous avez la vérité de votre côté. C’est pourquoi j’irai fin mars en Espagne pour contester devant le tribunal les accusations qui sont portées contre moi.

Patrick Karegeya: Nous n’allons combattre avec des armes que lorsque tous les autres moyens seront épuisés. Le temps porte conseil ! Nous espérons que la communauté internationale nous donnera la possibilité de pouvoir organiser notre opposition d’une manière normale. Ici en Afrique, c’est difficile, car Kagame met sous pression tous les présidents qui pourraient nous aider pour nous imposer le silence.

L’auteur Fred Magayani publie cet article sous un pseudonyme pour ne pas mettre en danger sa famille et ses amis au Rwanda.

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