L’islamisme au Maroc

Les autorités marocaines prennent des initiatives pour endiguer l’islamisme. Peine perdue, selon certains analystes, car la radicalisation a trouvé des voies nouvelles et imperceptibles pour se faufiler dans les foyers marocains. MO* aussi s’y est infiltré. En voici le compte rendu : c’est une histoire sur les imams télévisés, la mondialisation arabe et le pillage du pays.
El Kebab est un petit village situé au cœur du pays berbère, à un jet de pierre de Khenifra, une ville de valeur symbolique pour la population aborigène, car c’est ici que le roi Mohammed VI s’est prononcé en faveur de la fondation d’un Institut Royal de la Culture Amazighe. ‘Amazigh’ est le nom que les berbères donnent à eux-mêmes, signifiant littéralement ‘noble’. Après tant d’années de répression, de négligence et de tentatives d’arabisation par le régime marocain, les paroles du roi marquaient une véritable étape pour la reconnaissance de la culture berbère.
Néanmoins, à El Kebab, la culture berbère traditionnelle est en train de se dissiper toute seule. Parmi les femmes, les tatouages facials traditionnels, considérés comme un insigne honorifique il y a vingt ans, ont complètement disparu. On n’entend plus la musique qui autrefois retentissait dans les maisons. Les mariages avec les danses traditionnelles sont font de plus en plus rares, et la danse elle-même est de moins en moins considérée comme acceptable.
Selon Hassan Terhöe, un habitant d’El Kebab âgé de trente-trois ans, ce développement est la conséquence de la ‘redécouverte de la religion’. Terhöe était le premier habitant du petit village qui a décidé il y a cinq ans de s’habiller de façon salafiste. Le salafisme est l’une des écoles les plus fondamentalistes de l’islam. Ses disciples portent une petite barbe, une djellaba longue et blanche, et un pantalon blanc. Terhöe nie qu’il adhère lui-même à des idées fondamentalistes, mais il est, selon ses propres dires, ‘un champion du véritable islam’.
Son groupe d’ouailles s’accroît à vue d’œil. En donnant des leçons particulières de mathématiques le soir dans l’école primaire d’El Kebab, il répand son message parmi les enfants du village. « L’ancienne culture berbère est en train de disparaître, » dit Terhöe, « et cela n’est pas une mauvaise chose, vu que c’est notre religion qui nous demande de changer. Si nous transgressons la loi de Dieu, nous serons punis. Voilà pourquoi nous ne buvons pas d’alcool, et pourquoi nous évitons le contact entre hommes et femmes. Tout cela est écrit dans le Coran. »
Quand nous lui demandons les causes du changement culturel, il répond : « Il y a de nouvelles écoles, les gens apprennent à lire et à écrire. Ils lisent des livres sur la religion, ils réfléchissent indépendamment, et constatent qu’ils ont vécu dans le péché jusqu’ici. » Selon Hassan, le retour à la religion était déjà perceptible il y a une vingtaine d’années, mais les quatre dernières années, cette évolution s’est accélérée, « grâce aux nouvelles technologies : la télévision et l’internet. Maintenant, tout le monde a une antenne parabolique. Nous regardons des chaînes qui ne diffusent que des émissions sur la religion, dans lesquelles des doctes de l’islam nous expliquent dans les moindres détails ce que la religion nous prescrit et proscrit. »
À Tarama, un village berbère isolé dans le sud du Maroc, la situation est pareille : on danse de moins en moins, la musique ne s’entend plus, et on voit de plus en plus de jeunes en habits salafistes. « Tout cela a changé très rapidement, » dit Abdelftah Aït Argane, habitant de Tarama. « Les prescriptions sont suivies avec beaucoup plus de rigueur qu’autrefois. Ici, l’islam était un pot-pourri d’anciens rituels sataniques avec la religion ; les gens n’étaient pas conscients de ce qu’ils faisaient. Maintenant, c’est mieux : les danses, par exemple, ne se pratiquent plus, car elles permettent à l’homme et à la femme de se rapprocher trop. C’est une grande amélioration. »
Est-ce qu’il déplore la perte des anciens rituels ? « Le changement est logique, » Aït Argane répond, « jusque récemment, les gens vivaient dans le péché. » Et quand nous lui posons la question de savoir quelle a été la cause du changement, il dit : « C’est l’antenne parabolique. Tout le monde a trois cents chaînes maintenant, dont vingt émetteurs religieux de l’Arabie saoudite et l’Égypte. Si vous entrez dans n’importe quelle maison dans ce village, vous verrez que la télévision est allumée, et elle est toujours réglée sur une chaîne religieuse. »

Confrontation arabe


À la Friedrich Ebert Stiftung (FES), un institut de recherche germano-marocain situé à Rabat, ça fait déjà quelque temps qu’on observe ce lien entre les médias et la radicalisation. « Ce qu’on voit ici, c’est une confrontation entre différents mondes arabes, » dit Murad Errarhib, le coordinateur du centre de recherche. « On assiste à un changement dans le discours religieux : l’islam est de moins en moins une religion collective qui souligne la communauté et les rituels partagés. L’essence, c’est de plus en plus de savoir qui est l’ennemi parmi nous. La religion est utilisée pour faire une distinction individuelle entre le mauvais musulman, le bon musulman et le musulman parfait. »
Selon Errarhib, ce processus a été attisé, voire même causé, par la télévision. Une étude à grande échelle que la FES a effectuée en 2006 en collaboration avec les fameux experts de l’islam Mohammed El Ayadi, Hassan Rachik et Mohamed Tozy,  a révélé pour la première fois que les chaînes étrangères étaient une source importante d’informations religieuses. Ceci était le cas pour la plupart de la population (61,2 pour cent). L’influence exercée sur les jeunes s’avérait être plus grande (68,8 pour cent pour la tranche d’âge entre dix-huit et vingt-quatre ans) que celle exercée sur les personnes âgées (40 pour cent des personnes de plus de soixante ans). 
Selon Errarhib, cette influence a eu un effet dévastateur sur la société marocaine : « Un nouvel islam entre dans les foyers. C’est un islam qui a un autre cadre de référence doctrinaire et juridique que la version marocaine. L’islam marocain prône la tolérance et l’obéissance aux maîtres islamiques, le roi inclus, et il s’adapte au temps. Le jihadisme et le salafisme, les écoles qui entrent ici par satellite, prônent la fidélité à la tradition telle qu’elle était au temps du prophète Mahomet. »
« En plus, il s’agît de petites communautés campagnardes, » Errarhib ajoute. « Là, la plupart de la population n’est jamais allé à l’école, n’a jamais lu de livres. Ils n’ont pas les capacités critiques pour mettre en question les figures qu’ils voient à la télé. »
En outre, les émetteurs étrangers manient habilement leur dénomination pour rehausser leur autorité : « Les émetteurs les plus populaires s’appellent Coran ou Iqra, » Errarhib raconte. Iqra signifie ‘la doctrine’. C’est le premier mot du Coran, le premier mot que l’archange Gabriël a adressé à Mahomet, et le commandement le plus important du Coran. Comment peut-on attendre d’un musulman pieux mais non qualifié qu’il mette en question ce qu’on dit sur ces chaînes ? Les imams télévisés ne proclament pas de grandes théories, mais ils racontent aux spectateurs comment ils doivent mener leur vie quotidienne. »
Le chercheur conclut que « la télévision a une influence désastreuse sur la culture traditionnelle. Elle perturbe les anciennes coutumes, elle exerce de la pression culturelle. Les gens pensent : tout ce que j’ai appris jusqu’ici était faux – maintenant, je dois vivre comme les Saoudiens. C’est un vrai suicide culturel. »       

Radicalisation urbaine


Dans le train entre Marrakech et Casablanca, on a une vue impressionnante sur les bidonvilles. Elles se perdraient dans les dépotoirs environnants, s’il n’y avait pas les centaines d’antennes paraboliques qui y poussent comme des champignons géants. Les villes marocaines doivent aussi faire face à la radicalisation. Après les attentats à Madrid et Casablanca, plusieurs médias ont amplement éclairé l’islamisation des quartiers les plus pauvres des villes marocaines. A Casablanca, il y a toujours des quartiers appauvris qui sont connus comme des ‘usines du terrorisme’, mais après quelques initiatives de développement bien visées par le roi, le problème semble être résolu.
Cependant, la radicalisation en zone urbaine s’est donné un autre visage. « Ce sont des jeunes de vingt à trente ans, qualifiés ou non – ils comptent mêmes des académiques dans leurs rangs. Ils se regroupent et ils esquivent tous les non-initiés, surtout les femmes. Ils s’habillent dans des djellabas blanches et ils vivent selon les principes très stricts de l’islam. » Ce sont les mots de Simohamed Zerroune, un habitant de Marrakech âgé de vingt-neuf ans. Selon lui, la radicalisation se répand maintenant dans toutes les couches de la population. « J’approuve ce qu’ils font, » il continue. « Il faut que nous reprenions les bonnes choses de l’Occident sans nous faire submerger. Nous ne pouvons pas renier notre religion. »
Les Européens qui vivent à Casablanca racontent la même histoire. Virginie Casta est enseignante à l’Institut français : « Les collègues, les élèves, les amis, ils deviennent tous de plus en plus religieux. Il y a toujours plus de foulards, et le contact physique entre un homme et une femme est de plus en plus évité. Les gens deviennent intolérants vis-à-vis des autres modes de vie, comme le nôtre.
Autrefois, ceci était uniquement le cas dans les quartiers les plus pauvres ; maintenant, on le voit partout, dans l’attitude de tous. » La radicalisation dans toutes les couches de la population n’est pas sans danger : c’est une terre fertile pour le terrorisme. Depuis les attaques du 16 mai 2003 à Casablanca, le gouvernement marocain a intensifié ses efforts pour attaquer le terrorisme religieux. Cette année-ci, elle a compris qu’on peut également atteindre ce but en essayant d’étouffer le radicalisme dans l’œuf.
Fin juin, Ahmed Taoufik, le Ministre marocain des Affaires Islamiques, a annoncé un programme de grande envergure en vue d’une ‘requalification’ des imams marocains. À partir du douze décembre, tous les imams marocains doivent suivre des leçons postscolaires deux fois par mois. Le projet entier coûte à l’État quelques 200 millions de dirhams (20 millions d’euros).
À la radio publique, Taoufik a déclaré que le plan servait à ‘lutter contre l’intolérance’ et à ‘remplacer les formes radicales de l’islam par l’islam marocain’. Dans cet ‘islam marocain’, le roi joue un rôle primordial. En raison du fait qu’il descend de Mahomet, toute critique de sa personne est proscrite dans la société marocaine. Le pouvoir de la monarchie est ancré dans la religion. Les dernières années, ce système de pouvoir est de plus en plus mis en question.
« Le peuple est alphabétisé, il y a plus d’éducation. L’abus de pouvoir par la maison royale est de plus en plus souvent rendu public par la presse. Et les gens commencent à comprendre comment le système use de la religion pour conserver son autorité et pour maintenir l’inégalité. Par conséquent, emportés par un sentiment de trahison et de désespérance, ils recourent au ‘véritable islam’, » conclut un analyste politique vivant à Rabat qui préfère garder l’anonymat.

Féodalisme et pillage


Reste à savoir si la requalification des imams portera beaucoup de fruits. Dans les villes aussi, les antennes paraboliques font leur travail. En plus, les raisons sous-jacentes de la radicalisation sont d’une autre nature, et le régime lui-même n’est pas complètement hors de cause.
« Le régime garde le pays prisonnier dans un système féodal, » dit l’analyste de Rabat. « Ces dernières années, les médias ne parlent que du changement, de l’ouverture et du progrès économique du Maroc. Entre-temps, les profits du progrès ne bénéficient qu’à la maison royale et à ses partenaires européens. Les projets de développement pour lesquels le roi est applaudi actuellement, ne sont que des bagatelles en comparaison avec ce que rapporte le pillage du pays. Tous les investissements ont pour but le propre profit, on n’investit pas dans un projet commun. »
Notre source fait allusion à la partie considérable des profits de tout secteur vital de l’économie marocaine que reçoit la maison royale marocaine en tant qu’actionnaire majoritaire du holding Omnium Nord-Africain (ONA). Selon Forbes Magazine, le roi Mohammed VI, qui possède une fortune personnelle d’un milliard et demi d’euros, serait le septième chef d’état le plus riche du monde. Plusieurs magazines marocains ont annoncé en juin que, malgré la crise, le roi avait réussi à redoubler sa fortune en 2008. « Cette situation suscite la fureur et la désespérance du peuple, et surtout des jeunes, qui ne sentent pas le moindre changement, malgré la présentation favorable des choses, » l’analyste raconte.
La frustration qui fait surface ces dernières années est confirmée par d’innombrables Marocains, dont Omar Chennafi à Fes : « Il y a des travaux d’infrastructure, le nombre d’hôtels s’accroît, des millions de touristes viennent visiter notre pays. Mais pour les Marocains, rien ne change. Nous ne pouvons pas participer à ce projet. La plupart des gens se sentent emprisonnés dans ce pays, et on se moque de moi quand je dis que j’aime le Maroc. »
Ce printemps, l’écrivain français Danilo Casti a fait une enquête sur les perspectives d’avenir des jeunes Marocains. Il confirme : « C’est spectaculaire : personne ne veut rester dans ce pays. Même ceux qui ont étudié à l’étranger, même les riches, tous veulent quitter le Maroc. Ils sentent qu’il n’y aura pas d’opportunités dans ce pays. » Omar Chennafi ajoute : « Il règne un sentiment d’impuissance, et la religion est une drogue satisfaisante pour échapper à la réalité. »

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